SOCIÉTÉ –
CHERCHEURS D'OR DES TEMPS MODERNES AU VIÊTNAM
– Saviez vous que 150 ans après la première ruée vers l’or en Californie, des hommes et des femmes utilisent toujours au Viêtnam la technique américaine pour chercher de l’or.
Partons à leur rencontre !
L’or ! Depuis des temps immémoriaux, ce métal précieux attire le regard et la convoitise. Le résultat de la collision extrêmement puissante de deux étoiles à neutrons est un symbole d’amour, de prospérité et de richesse. Son éclat, sa valeur et son caractère unique font rêver, fantasmer… Logiquement, cette matière devient un sujet de prédilection pour la littérature ou le cinéma. Plus encore, les chercheurs d’or ont inspiré nombre d’écrivains de Blaise Cendrars à Jack London et de réalisateurs : Charlie Chaplin, Anthony Mann, Clint Eastwood… Nous avons tous en tête des images de cowboys, d’aventuriers américains ou étrangers, de tentes ou de cabanes en bois au bord d’une rivière et de caravanes traversant les grands espaces.
Évidemment, depuis 1848 et la première ruée vers l’or en Californie, l’industrialisation de l’exploration et de la production de l’or s’est développée partout sur la planète : Chine, Australie, Russie, États-Unis… Cependant, restent dans les mémoires collectives ces clichés de pionniers. Aussi, lorsque j’apprends qu’au Vietnam, il est possible de découvrir tant des mines d’or que des orpailleurs utilisant les mêmes méthodes qu’il y a 170 ans, je pars à leur recherche.
L’or au Vietnam
Il n’existe évidemment aucune carte indiquant les lieux précis où l’on peut trouver de l’or. Tout comme les légendes, ce sont des histoires qui se partagent en comité restreint sous le sceau du secret. Cet élément naturel est pourtant extrait au Vietnam depuis l’âge de bronze (-2200 à -800 av. J.-C.) et son exploitation s’est intensifiée lors de la colonisation française de la péninsule indochinoise.
Cependant, contrairement à ses voisins, avec une production de 560 kg d’or en 2018 (derniers chiffres connus), le Vietnam figure au-delà des 90 premiers pays de production aurifère. En 2020, la Chine demeure au premier rang avec plus de 380 tonnes et l’Indonésie au 10e avec 130 tonnes.
À titre de comparaison, dans les années 1900, il était possible de trouver environ 30 g d’or par tonne de minerais. Aujourd’hui, les mineurs n’en extraient que 0,5 g. Il faut donc creuser plus largement et plus profondément pour dénicher quelques paillettes.
Il semblerait qu’il y ait eu des mines un peu partout dans le pays et principalement dans certaines provinces du Nord-Est et les hauts plateaux du centre.
Mais où faut-il initier sa quête ? N’est-ce pas chercher une aiguille dans une botte de foin ? S’informer semble la première étape indispensable. Néanmoins, lorsque j’évoque mon projet, personne ne sait quoi que ce soit. L’or ne serait-il pas un sujet tabou ? Doit-on garder le mystère autour de ce métal précieux ?
Suivre la piste DES CHERCHEURS D'OR vers Bong Mieu
Je découvre des extraits du magazine « L’Écho des mines et de la métallurgie » parlant de la mine de Bong Mieu dans le Quang Nam dans les années 1900. Son exploitation date du XIVe siècle par la dynastie chinoise des rois Nguyen. Les Français ont accru son rendement lors de l’époque coloniale et ont laissé quelques écrits liés à leurs fouilles et leurs explorations.
Dans l’un des articles datant du 21 décembre 1909, je trouve les indications suivantes ;
« … Il y a comme cela des vingtaines de vieilles mines annamites qui ont tout autant de chances de réussite que Bong-Mieu. […] peut-être quelque chose à chercher du côté des alluvions de rivière. Il y a des points où existent des millions de mètres cubes d’alluvions, assez pauvres il est vrai, mais déjà désagrégés et à proximité de toute l’eau nécessaire pour opérer à l’américaine… »
Cependant, toutes ces mines ne semblent plus être en activité. Officiellement, après plusieurs siècles d’activité, celle de Bong Mieu a fermé en 2019. Des explorations sauvages sont tout de même relatées dans et autour de ses galeries. En approfondissant le sujet, il parait qu’ un certain nombre de carrières illégales existe au centre du Vietnam. Le gouvernement vietnamien est très attentif à cette situation. Au regard de l’impact néfaste sur l’environnement et la santé des mineurs artisanaux pouvant utiliser du mercure pour l’extraction de cette matière, des actions sont menées pour interdire ce type d’agissements. Mais, ces campements prohibés se seraient multipliés depuis la crise du covid. L’or est considéré, pour beaucoup, comme une valeur refuge. De plus, le cours ne cesse de grimper.
À titre d’information, 1 g représentait approximativement : 1 $ en 1970, 9 $ en 2000, 35 $ en 2010 et 60 $ actuellement.[[[
Sur les traces des chercheurs d’or
Rencontrer des chercheurs d’or se révèle du domaine de la chance plus que d’une méthodologie appliquée. Il faut ouvrir l’œil et peut-être qu’à un croisement de routes, le long d’une rivière, je décèlerai l’indice qui fera toute la différence.
Je sillonne à moto la province du Quang Nam et repère sur « Google Earth » des lieux susceptibles d’abriter des galeries et les longs cours d’eau. À de nombreuses reprises, j’aperçois des mineurs. Je les suis sur des sentiers de terre parfois escarpés ou boueux soupçonnant un gisement non loin de là. S’agirait-il d’un site « déclaré » ? Avant même de pouvoir l’atteindre, je suis arrêtée. On me demande d’opérer un demi-tour sans ménagement. Il n’y a rien à voir. Je suis convaincue du contraire. Il faut poursuivre. Le hasard tournera en ma faveur à un moment donné.
Sur une route du côté de Phuoc Son, je longe la rivière. Pour une raison inexpliquée, mon attention s’attarde sur les reflets de l’eau, la végétation luxuriante, un pont de pierre un peu plus loin. Je m’arrête pour prendre le temps d’admirer les flots scintillants au soleil. Mon regard se laisse porter par le courant. Tout d’un coup, de l’autre côté de la rive, je vois des hommes. Sont-ils de simples pêcheurs ? Pas de canne, mais des batées ! Aurais-je trouvé mon or ? Je les observe. Ils s’en aperçoivent. Vais-je avoir une fois de plus des mimiques signifiant que je ne suis pas la bienvenue ? Dois-je déguerpir au plus vite ? Absolument pas. Ils me sourient. Ils me font même de grands gestes pour m’encourager à traverser
Rejoindre les chercheurs d’or
Croient-ils vraiment que je vais arriver jusqu’à eux ? Peu importe ! L’occasion est trop belle pour que je la laisse filer.
Nous sommes en pleine saison humide et il a plu à verse ces derniers jours. Je ne peux franchir la rivière en crue à pied. Le débit est rapide et le lit semble profond. Cependant, le chemin me parait simple pour atteindre l’autre côté du rivage. Je fais demi-tour et je reprends la route asphaltée vers le pont de pierre. Cette partie est évidente. La suite se complique. Après le béton, les graviers, un sentier de terre me guide sur quelques dizaines de mètres. Guettant chaque indice comme un des cailloux du « Petit Poucet », ma fidèle monture et moi nous retrouvons au cœur d’une plantation d’hévéas. Plus de route, ni de traces. Juste de la boue et des racines. La densité de la végétation à perte de vue altère mon sens de l’orientation. Longer la rivière ne s’avère pas si clair.
Trouver des chercheurs d’or n’est pas une mince affaire. Les atteindre est également une aventure hors du commun.
Après une demi-heure sur une piste boueuse où les rayons du soleil ont du mal à percer le feuillage des grands hévéas, je distingue une puis plusieurs motos. La voie s’arrête là. Il est impensable de poursuivre autrement qu’à pied. Après quelques pas, le relief descend. La végétation change passant d’un vert bouteille à un vert prairie. La terre se transforme en sable. Je touche au but. Encore un dernier effort pour escalader quelques roches et atteindre le rivage. Quand je vois le regard étonné des chercheurs d’or qui m’accueillent avec surprise et chaleur, la magie opère. Je suis transportée immédiatement dans un espace-temps distinct.
Chercher de l’or comme les pionniers du XIXe siècle.
Lorsque j’arrive sur la berge, je découvre un premier groupe de cinq personnes. Un peu plus loin, d’autres orpailleurs travaillent par deux ou par trois. Ils s’étendent sur une bande de cinquante mètres le long de la rivière. Je reste avec les deux femmes, Quynh et Xuân, et trois hommes, An, Lâm et Thuân, qui m’avaient fait signe.
Depuis combien de temps sont-ils là aujourd’hui courbés ou accroupis dans l’eau, trempés jusqu’aux os ? Peut-être depuis le petit jour. J’imagine leur fatigue. Cela doit bien faire cinq ou six heures qu’ils travaillent sans relâche avec un matériel rudimentaire à la recherche de poussière d’or. Cependant, cela ne diminue en rien leur large sourire parfois caché par des masques et leur envie de partager avec moi leur fièvre de l’or lorsqu’ils m’aperçoivent.
Une famille reconvertie dans l’orpaillage.
An, Lâm, Thuân, Quynh et Xuân font partie de la même famille. Cette activité n’était pas jusqu’à présent leur gagne-pain. C’était un complément de revenu en cas de besoin. Ils avaient un petit commerce ou vivaient du tourisme. Egalement, ils pouvaient travailler dans les plantations d’hévéas ou les rizières.
Cependant, avec le covid, il y a de moins en moins d’emplois. La pénurie les a frappés. Ils sont donc retournés à cette profession ancestrale comme d’autres villageois afin de nourrir leurs enfants. C’est extrêmement physique, mais ils ne se plaignent pas. Le cours de l’or est haut en ce moment. Quotidiennement, ils arrivent à récupérer l’équivalent de deux à trois cents milles dongs chacun (entre huit et treize euros). Ce montant est approximativement le salaire moyen journalier au Vietnam. Vivant à la campagne et en cultivant les légumes dont ils ont besoin, cela leur suffit amplement.
Ils m’invitent à les observer. Je regarde leur méthode précise pour séparer le bon grain de l’ivraie.
Comment les orpailleurs trouvent des paillettes avec une batée ?
An et Thuân, ont une batée conique, appelée également chapeau chinois. Je m’aperçois rapidement que cela semble plus complexe qu’il n’y paraît. Il faut de la pratique pour avoir les gestes adéquats.
La méthode
Chacun commence par y déposer un amas de terre, de sable et de caillasses. Rien n’est trié. Seule une attention particulière est portée à la quantité afin de ne pas trop la charger.
Ensuite, An met de l’eau dans le chapeau chinois et mélange pour éliminer les boues et les limons. Il enlève les grosses puis les petites pierres en s’assurant qu’il n’y a rien dessus. Régulièrement, il agite le cône pour faire remonter les cailloux à la surface et les retirer aisément.
Une fois cette opération réalisée à de multiples reprises, il initie le débourbage. L’objectif est de séparer les éléments les plus lourds des plus légers. Cela consiste à malaxer le sable en tenant le matériel au niveau de l’eau ou en y ajoutant de l’eau au fur et à mesure. Pour faciliter cette tâche, il alterne différentes techniques. Il secoue la batée, la fait tournoyer ou encore ondule pour limiter la force centrifuge. Son regard demeure cependant toujours fixé sur les composants qui sortent afin que la pépite miraculeuse ne lui échappe pas.
Lorsqu’il ne reste pratiquement que du sable, il fait de plus en plus de mouvements circulaires formant une sorte de comète dans la batée. Il différencie ainsi plus précisément les alluvions les plus légères qui doivent être envoyées vers l’extérieur, des paillettes qui s’accumulent dans la pointe du chapeau. Ce lessivage permet d’identifier aussi les types de grain. La couleur indique le poids allant de jaune pour le plus faible à noir pour le plus lourd.
Le sourire de la réussite
Lorsque l’éclat lumineux du métal jaillit, je distingue des étoiles brillantes dans ses yeux. Les rides de concentration font place à son large sourire. Je découvre un visage juvénile plein de rêves et d’espoir. Il poursuit ses gestes jusqu’à ce qu’il n’y ait que le fruit tant désiré. À ce moment, il me brandit fièrement le cône pour me montrer sa richesse. J’observe la fièvre de l’or qui le saisit. Les quelques paillettes collectées, peut-être 0,2 g, le font littéralement sauter de joie. Alors, il les dépose très précautionneusement avec le reste ramassé jusqu’à présent. Puis galvanisé par ce nouveau butin, il allume une cigarette, prends son piochon et recommence à remplir sa batée.
Comment utiliser une rampe pour trouver de l’or
Lâm, Quynh et Xuân disposent de deux plans inclinés localisés un peu plus loin sur le rivage. Ils ont tous les trois de l’eau jusqu’à mi-cuisse. Trempés jusqu’aux os, ni le froid, ni l’humidité, ni le contact des tissus imbibés ne les perturbent. Ils poursuivent leur labeur sans sourciller.
Lâm creuse et dépose de grandes pelletées de matériaux sur le haut de la rampe. Les filles, Quynh et Xuân, versent de l’eau régulièrement dessus à l’aide d’un bidon coupé en deux. La partie supérieure en forme d’entonnoir centralise le liquide. Puis, le tapis récupère un concentré des éléments les plus denses mélangés potentiellement avec de l’or.
Chacune en charge d’une rampe, Quynh et Xuân enlèvent les pierres et cailloux. Elles remplissent encore et toujours leur petit récipient afin d’évacuer tous résidus alluvionnaires. Telles des automates, elles répètent ces gestes jusqu’à ce que les picots de la moquette soient pleins en ayant accroché toutes les particules les plus lourdes.
Ensuite, minutieusement, elles retirent le tapis et le vide dans un seau. Pour le dernier lavage, Quynh et Xuân utilisent à tour de rôle une batée. Une fois cette étape terminée, sans s’arrêter une seconde, elles recommencen
Succomber à la fièvre de l'or !
Après deux heures à les observer, An me tend le disque conique. Il me fait signe que c’est à mon tour d’essayer. Je tente de faire virevolter ou onduler le chapeau chinois. Malgré ma concentration, je vois bien que mes gestes ne sont pas les bons. Je m’efforce de séparer les éléments avec difficulté. Alors, je m’arrête, je les regarde à nouveau. Ils rigolent. Au regard de ma technique, ils ne sont pas inquiets, jamais je ne leur volerai leur or. Au bout d’un certain temps qui me paraît interminable, le prix de ma peine est récompensé. Je distingue trois fines et minuscules paillettes dans le cône.
Le fait de percevoir de mes yeux ce métal scintillant sur l’acier froid m’emplit de joie. J’appréhende alors physiquement et émotionnellement la fièvre qui touchait tous les aventuriers en quête de richesse. C’est un sentiment particulier mêlé de puissance et de fierté. L’éclat de l’or est unique. Peut-être, cela explique pourquoi il est toujours autant considéré comme un symbole de pouvoir.