Covid à Da Nang pendant la 4e vague- rue deserte _ juillet 2021

SOCIÉTÉ

Covid à Da Nang, Viêtnam - Témoignage de Lucca

Découvrez la réalité d’un expatrié français entre restrictions, enfermement et peurs au cours de la 4e vague de covid à Da Nang au Vietnam

Petit déjà, Lucca se passionne pour l’Asie : continent coloré et lointain aux multiples cultures, traditions et saveurs. En 2007, à 19 ans, il part. Il vit au Cambodge, au Laos, en Thaïlande et au Viêtnam. Il se sent chez lui au pays du Dragon. Professionnellement, il occupe différents postes à responsabilités dans le secteur du tourisme. Ses projets l’emmènent à ouvrir le 1er novembre 2019 un hôtel à Hoi An, ville du centre du Viêtnam. Alors que le développement et la réputation de son établissement commencent à croître, l’épidémie de covid y met un coup de frein fatal. Il ferme définitivement en septembre 2020. En mars 2021, des idées de création d’entreprise plein la tête, il décide de déménager à Da Nang. Pour lui, c’est l’heure du renouveau. Or, la quatrième vague de covid à Da Nang éclate fin avril 2021. 

Jamais, il aurait imaginé vivre, quelques semaines après son installation, une expérience de vie unique aussi enrichissante que terrifiante.

Une vague de covid À da nang qui commence comme les autres

Comme les fois précédentes, les masques, les gestes barrières réapparaissent puis les magasins ferment, la livraison à domicile est privilégiée. Un mot d’ordre : « je reste chez moi ».

Depuis le début de la pandémie, il ne voyage pas voire peu. Il évite les regroupements, sort uniquement avec ses connaissances et est respectueux des consignes données. Aussi, ces premières mesures ne changent pas ses routines et son quotidien. Il s’est acclimaté depuis près de quinze mois à avoir des périodes où il est contraint de demeurer chez lui. Cette conscience lui avait d’ailleurs fait choisir avec beaucoup de réflexion sa maison à Da Nang. Le confinement en mai à Da Nang est donc pour ainsi dire classique. Et comme par le passé, après cinq semaines, en juin, cette période se termine. Cafés et restaurants rouvrent prudemment.

LE VARIANT DELTA EMBRASE LE VIÊTNAM

Tout aurait pu se dérouler comme par le passé. Or, le variant Delta enflamme Hô Chi Minh City. Pour la première fois depuis le début de la pandémie, les nouveaux cas se comptent quotidiennement par milliers. La propagation n’est pas contenue. Devant l’ampleur du risque et l’accélération des contaminations, Da Nang se rendort. La directive 15 puis la 16 sont mises en place.

Ces mesures allant crescendo, Lucca s’adapte voire, au fur et à mesure, accepte ces changements sans vraiment s’en rendre compte. Son état d’esprit évolue aussi au fil des limitations. Il s’habitue, comme si cela était normal, au manque de liberté, aux sorties contingentées ou aux relations avec l’extérieur extrêmement réduites. De plus, directive 15, 16, tout cela demeure « standard » dans la stratégie drastique de lutte contre le covid du gouvernement vietnamien.

LA MONTÉE EN PUISSANCE DES RESTRICTIONS POUR VAINCRE le VARIANT DELTA DU COVID À DA NANG

Tout change lorsque des barricades et des check-points sont mis en place partout dans la ville. Avec cette installation, de nouvelles règles sont instaurées. Des tickets sont donnés afin qu’une seule personne par foyer puisse aller une fois tous les trois jours faire des courses. Les possibilités de circulation sont limitées. Da Nang est quadrillée. Il se souvient d’une fois au marché :

 » Les prix flambent. Les denrées sont de plus en plus réduites. J’achète, ce jour-là, derrière une porte dérobée, des mangues à prix d’or. Mais quel bonheur !  » 

Une image s’impose à son esprit, celle du marché noir. Ce ne sont pourtant pas des substances illicites, mais le manque de vivres et de produits frais génère des comportements inédits : « Tu prends tout, d’où que cela provienne et quel que soit le tarif ». Cela le ramène régulièrement à des situations que sa grand-mère a vécues en France pendant la Seconde Guerre mondiale.

À chaque check-point, Lucca est contrôlé, questionné afin de s’assurer que le QR code de son ticket nominatif est bien le sien, que le motif de sa sortie est bien autorisé. Avec ces vérifications systématiques, il se sent considéré comme un suspect voire un ennemi. C’est très déstabilisant. L’angoisse et la peur s’emparent parfois de lui. Sans jamais l’avoir vécu, cela lui fait penser à des scènes de guerres. Il ne s’estime pas particulièrement en danger, mais le jugement verbal et non-verbal incessant symbolise pour lui un état de siège. Alors il étudie les cartes de la ville pour déterminer les zones à check-points et les éviter, les contourner. C’est le début du sentiment qui ne le quittera pas de peur, de privation de liberté et d’enfermement.

Cependant, encore une fois, il s’habitue. Il modifie son organisation, planifie davantage, dresse des listes de courses et réfléchit en amont à ses repas. Pour que la journée lui paraisse moins longue, il décale ses horaires de quelques heures. Il n’y a plus d’intérêt à se réveiller tous les matins à 7 h. Sa vie devient virtuelle. 

Elle se compose de What’s apéro, de séance de cinéma avec des amis par zoom, de travail et recherche d’emploi en ligne, d’échanges par Skype, d’apprentissage divers. Il regarde des films et des séries tels que « les routes de l’impossible » qui le font rêver et s’évader de sa triste réalité. Sa prison digitale lui permet malgré tout d’accepter et de tenir. Pour ne pas se rendre compte des effets néfastes du tout numérique, il imagine qu’il est dans un jeu de survie. Peut-être un cyber Koh Lanta ou quelque chose d’équivalent. Il en a besoin pour ne pas devenir fou et ne pas céder à cet environnement anxiogène.

ÉTAPE ULTIME POUR LIMITER LA PROPAGATION DU COVID À DA NANG : L’INCARCÉRATION CHEZ SOI

Au moment où il trouve un nouveau rythme de croisière dans cette vie en conditionnelle, des rumeurs commencent à monter. D’abord, le jeudi 12 août 2021, son propriétaire l’informe que tous les habitants de Da Nang pourraient bientôt être « séquestrés chez eux ». Ce bruit s’amplifie dans la ruelle où il réside puis sur les réseaux sociaux.

Dès le 14 août, il pourrait y avoir une interdiction totale de mettre un pied dehors. Son angoisse augmente. En mode « Alerte rouge », il décide d’aller au supermarché et d’acheter des vivres. Dans son esprit, cette nouvelle restriction sera limitée à une semaine. En fin gourmet, Lucca ne peut se contraindre à faire comme les Vietnamiens en prenant uniquement des cartons de nouilles instantanées ou des denrées non-périssables. Son moral étant dans l’assiette, il pense à se faire plaisir. Il choisit ainsi des produits qu’il pourra cuisiner tel un jambonneau à associer à une choucroute ou encore du beurre salé. Sa moto déborde. Il rentre rasséréné. Il ne manquera de rien.

Le 14 à minuit, chaque habitant de Da Nang est assigné à résidence sans possibilité de sortie. Au début, cela ne change rien. Mais, au fil des jours, sa confiance diminue. Des drones (fly cam) apparaissent dans les ruelles afin de s’assurer que personne ne sort.

De plus, il est convoqué tous les quatre jours pour faire un test PCR. Au bout d’une semaine, il ne lui reste dans son frigo qu’une jardinière de légumes, deux œufs et un yaourt. Il attend l’annonce disant qu’il va pouvoir se réapprovisionner. Mais non, ce ne sera pas possible. Au contraire, le 21 août, une information officielle lui parvient. La décision d’interdiction de sortie est prolongée pour une quinzaine supplémentaire. Une nouvelle terreur se fraye un chemin dans son esprit. Bientôt, il n’aura plus de quoi manger.

Tous disent que le gouvernement vietnamien va prendre en charge cet aspect et va livrer tous les habitants de Da Nang, mais Lucca ne voit rien venir. Après dix jours d’enfermement, son dernier repas se compose d’un couscous à l’eau et d’une barre chocolatée.

DE LA PEUR DE LA FAIM À LA JOIE D’UN POISSON

Au matin du mardi 24 août, il n’a plus d’eau, plus de vivres et il n’a pas la possibilité d’acheter en ligne. Il a le sentiment d’avoir mal utilisé ses ressources. Il est paniqué, envisage des options de marché noir, mais en tant qu’étranger, il craint les répercussions d’actes qui pourraient être illégaux.

Dans la journée, les choses semblent s’organiser et les gens de la ruelle devraient pouvoir faire des commandes de nourritures par l’intermédiaire du ward leader (chef de quartier). À 21 h 30, il y a une insurrection des habitants qui désapprouvent la gestion du ward leader. Il n’ose pas sortir, mais les hurlements, les cris des voisins lui font supposer que toutes les demandes ont été annulées. Après une première journée de jeûne, Lucca est en proie aux affres les plus terribles. Ses peurs tournent en rond dans sa tête toute la nuit. Jamais il n’aurait pensé être, un jour, confronté à la question de la faim et de la soif. Avec l’enfermement, l’isolement, le tunnel sans fin dans lequel il est, il perd pied. Il sombre et ne perçoit aucune issue.

Or, le mercredi matin à 10 h, il aperçoit dans la ruelle qu’un mini marché s’est installé. On lui apporte trois maquereaux.

« Je n’ai jamais été aussi heureux de cette main tendue avec les poissons. J’en ai pleuré de joie. ».

chef de la police remet des vivres aux expatries lors de la 4e vague de covid a da nang - août 2021
Le chef de la police de Da Nang remet des vivres aux expatriés lors du confinement total due à la 4e vague de Covid – Août 2021
Photo transmise par Lucca

Ensuite, d’heure en heure, tout s’est enchaîné. On lui amène une carotte, deux choux-raves, une aubergine, un potiron. Il est soulagé. Il accueille chacune de ces denrées comme un bien précieux. Les jours se succèdent et on lui propose des pommes de terre, de la viande, du pain…

Le samedi, la police lui donne 10 kg de riz, un carton de nouilles instantanées et des légumes. La grogne des expatriés ayant été très forte sur les réseaux sociaux, le chef de la police est heureux de lui dire : « we take care of the foreigners first and then the Vietnamese ». Lucca est extrêmement mal à l’aise vis-à-vis de ses voisins, de son colocataire vietnamien, qui l’ont tant aidé pendant cette période. Mais ces derniers le surprennent : ils applaudissent et ajoutent : « We are proud that Vietnam take care of you ». Jamais, il n’aurait pu envisager cette scène dans un autre pays que le Viêtnam.

Avec le recul, Lucca est impressionné. En seulement quatre jours, la police et le gouvernement ont réussi à mettre en place le ravitaillement d’une ville de près de 1,2 millions d’habitants. Selon lui, la politique de lutte contre le covid à Da Nang est drastique, difficile, mais efficace. Elle démontre l’implication globale de tout un peuple pour vaincre le variant Delta.

VERS UNE AMÉLIORATION LENTE DE LA SITUATION DUE AU COVID

test PCR réalisé lors de la 4e vague de covid a da nang - juillet 2021
Test PCR réalisé lors de la 4e vague de covid – Photo transmise par Lucca
Au 30 août, les tensions se relâchent un peu dans la ruelle. Il y a de la nourriture pour tous. Sachant que tous les foyers effectuent un test PCR tous les 4 jours, les voisins recommencent à se parler et à sortir sur le pas de leur porte. Chacun a le sentiment d’être dans une bulle « covid free ». Aussi, maintenant, ils la protègent. Ils sont partisans, en dehors des consignes du gouvernement, de rester encore « cloîtrés » chez eux pour quelque temps. Les jours qui suivent, les autorités de Da Nang mettent en place un zoning. La ville est quadrillée en districts verts, oranges et rouges. Lucca est dans une zone libre. Il peut de nouveau sortir dans son quartier. Délivré, il en savoure chaque instant. Parallèlement, une campagne massive de vaccination s’organise. L’objectif est que tous les habitants aient reçu une première dose à la fin du mois de septembre afin que tous les commerces et la vie puissent reprendre au 1er octobre. Le bout du tunnel approche. D’ailleurs, lorsque sa pâtisserie favorite rouvre, sa joie est à son comble. Il déguste chaque bouchée comme un morceau de paradis. Le plus difficile est derrière lui.

« CETTE EXPÉRIENCE M’A TRANSFORMÉ »

Les jours, semaines et mois d’isolement et de peur de manquer de nourriture l’ont rendu différent. Certes, son organisation, le sentiment d’être en sécurité dans son cocon ont été essentiels afin de pouvoir tenir et espérer. Mais la période a été trop longue et douloureuse pour qu’il puisse se remettre à rêver.

Aussi, il est en pleine réflexion sur l’avenir. Sa notion de « fondamental » a évolué. Il se concentre sur ce qui lui a manqué pendant toute cette phase : la liberté de marcher, de respirer au grand air, de voir le vert des arbres et la possibilité d’être autonome dans ses besoins physiologiques. Une maison à la campagne avec un lopin de terre, peut-être un poulailler, lui semble la seule solution durable. Par ailleurs, la solidarité vietnamienne à son égard lui donne envie d’être mieux intégré dans une communauté, de se reconnecter aux valeurs simples de l’entraide. Il souhaite ainsi s’engager pour soutenir les personnes de tout horizon qui en ont besoin. Par cette occasion, il désire être à son tour la main qu’on lui a tendue quand il se voyait dépérir.

Malgré l’infinie gratitude de Lucca pour le peuple vietnamien et sa conviction profonde que la gestion de la crise a été optimale, ce futur ne se fera pas au Viêtnam. Après quatorze ans d’Asie, il rentre en France le 10 octobre pour de nouvelles aventures.

Cet article a 2 commentaires

  1. Pu Tong Hua

    Cet article est vraiment très intéressant. J’attends les suivants avec une grande impatience.
    Ou te trouves-tu au Vietnam actuellement ?

    Désolé pour les accents, mon clavier est qwerty et ma touche s fonctionne très mal.

    1. Zoé Delisle

      Merci beaucoup Putonghua pour ton message !
      Je suis actuellement dans le centre du Viêtnam, à Hoi An. Je m’apprête à partir en Road Trip dans la province du Quang Nam sur les traces d’une expédition de colons français datant de 1893. Bientôt, je serai heureuse de partager avec toi ces aventures et mes découvertes.
      A bientôt.
      Z

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