La Citroën La Dalat de Banh Canh

CULTURE 

La Dalat : une 2CV pas comme les autres

– Mérahi vietnamienne, cette voiture dérivée de la 2CV est la première voiture construite au Vietnam

Avez-vous dit « Dalat » ? Pour nombre d’amoureux du Vietnam, ce terme se réfère à la ville touristique des hauts plateaux du centre du Vietnam. Mais pour certains connaisseurs et amateurs de voitures, La Dalat est un des vestiges de l’automobile. Un emblème vietnamien de la marque aux deux chevrons, construit entre 1970 et 1975 et inspiré de la 2CV, de la Méhari et de la baby brousse.

La première fois que « La Dalat » survient dans une conversation pour un tout autre propos que la cité des montagnes, c’est lors d’une rencontre avec un collectionneur à Hoi An surnommé Banh Canh. Il est en train d’en réparer une.

Je ne sais absolument pas à quoi ce véhicule 100 % assemblé au Vietnam peut ressembler. Les premières images qui me viennent en tête sont un mix entre la Hotchkiss de la scène finale de « La grande vadrouille » et la 2CV qui se disloque instantanément en mille morceaux dans « le corniaud ».

La Dalat : son histoire

Banh Canh se fait fort de me raconter l’histoire de cette voiture mythique.

Ses origines

Publicité Citroën la Dalat
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Source : magazine Citroscopie

En 1968, Citroën présente la « Méhari », véhicule de loisirs dérivé de la 2CV avec une carrosserie en plastique. L’année suivante, la société acquiert les droits de la baby brousse développée en Côte d’Ivoire avec un châssis de 2CV et une caisse en tôle pliée. L’idée est de proposer des automobiles FAF (facile à Fabriquer/Facile à Financer) aux pays émergents d’Afrique et d’Asie.

Avec sa filiale, la SAEO (Société Automobile d’Extrême-Orient), basée à Saigon au Vietnam depuis 1936, la marque aux deux chevrons accroît son implantation indochinoise. Cependant, l’interdiction d’importation de véhicules fabriqués en France, à la suite d’une prise de position du Général de Gaulle sur le conflit américano-vietnamien en 1966, met en péril la commercialisation des Citroën. Cette situation pousse le nouveau directeur nommé en février 1968, Jacques Duchemin à proposer un prototype de 3 CV inspirés d’un mix « Méhari »/« baby brousse » : « La Dalat ».

Sa production

Assemblée entièrement au Vietnam, seuls ses organes vitaux (moteur, transmission, direction, freins) proviennent de l’usine Citroën de Belgique. Tout le reste est fabriqué localement. En étant l’unique automobile construite au Vietnam, la population vietnamienne a un engouement total et immédiat pour cette 2CV vietnamienne. Elle devient ainsi en quelques mois la voiture nationale.

Dessins des différents modèles de la Citroën La Dalat Magazine Citropolis
Dessins des différents modèles de la Citroën La Dalat Magazine Citropolis

Environ 5000 véhicules en 5 ans ont été produits selon 3 modèles :

  • « La Dalat — T », break familial à 3 ou 5 portes. C’est celui de Banh Canh.
  • « La Dalat — R » réservé aux taxis, ambulances ou à la police
  • « La Dalat — RN » conçue pour le transport de passagers

Au fil des années, « La Dalat » bénéficie de nombreuses améliorations, mais demeure toujours à un tarif accessible pour l’ensemble des foyers vietnamiens. À l’époque, elle valait près de 8 000 € dans sa version de base. Aujourd’hui, la voiture la moins chère commercialisée au Vietnam coûte approximativement 20 000 €.

Cependant malgré sa popularité, son faible prix de vente et sa conception totalement adaptée au climat et aux besoins, la chute de Saigon en 1975 sonna le glas de « La Dalat ». Actuellement, il en reste environ 200 en état de fonctionner sur les 5000 construites.

Photo d'un article du bi-mensuel auto journal titrant
Photo d'un article du bi-mensuel auto journal titrant en 1971 : La Dalat cette 3CV Citroën est née à Saigon

Réparer « La Dalat » au Vietnam

Banh Canh répare sa Citroën La Dalat
Banh Canh répare sa Citroën La Dalat

Ayant toujours préféré l’action au long discours, je saisis l’occasion de demander à Banh Canh de contribuer, à ma mesure, aux réparations de cette dernière. Il faut notamment :

  • Refaire le système de freinage
  • Réparer la fuite de l’échappement
  • Fixer le carburateur
  • Tendre voire remplacer la courroie de ventilateur
  • Changer et mieux arrimer la batterie
  • Remonter les parechocs et la plaque d’immatriculation
  • Changer les bougies…

 

Une bonne nouvelle, nous sommes au Vietnam. L’art est dans l’ingéniosité et le pragmatisme plus que dans le respect des normes et des principes. Depuis toujours, tout se fait à l’économie. Il est, par ailleurs, extrêmement difficile et onéreux de dénicher les éléments d’origine dans le pays. L’important est donc d’avoir un peu de créativité et de trouver voire d’adapter les composants pour les rendre compatibles. Généralement, des pièces russes, chinoises ou japonaises font parfaitement l’affaire. Aussi, il n’est pas rare d’apercevoir un commutateur de clignotant avec des inscriptions cyrilliques ou des modules avec des sinogrammes.

Remettre en état « La Dalat » de Banh Canh

Du cambouis jusqu’aux coudes, je suis à la lettre les instructions de « l’expert ». J’observe et participe au démontage puis à la rénovation de chacun des éléments. Contrairement aux berlines modernes où tous les composants sont cachés, l’expression « mettre les mains dans le moteur » se vit littéralement. Ici, dès que l’on ouvre le capot, on peut reconnaître chaque organe du véhicule. On distingue un bout de scotch ou de ficelle qui maintient certaines pièces. Les premières pensées sont : « comment ça tient ? Quelle unité va tomber au premier kilomètre ? ». L’impression de « bricolage » est renforcée par le fait que nous la réparons dans la cour arrière de la maison de Banh Canh. Pas d’équipement ni d’outil particulier, juste de l’huile de coude et l’acceptation que cela prendra un certain temps.

Moteur d'une Citroën La Dalat
Moteur d'une Citroën La Dalat

Va-t-elle démarrer ?

Après plusieurs jours de travail, arrive le moment tant attendu : essayer de la mettre en route. « La Dalat » hiberne sans bouger depuis trois ans. Va-t-elle s’éveiller d’un coup de baguette magique ? Au premier tour de clé, elle soubresaute. Nouvelle tentative, on sent qu’elle veut y aller, mais seul le son strident du démarreur jaillit. Il semblerait que l’essence n’atteigne pas le moteur.

Comme tout est à portée de main, une décision est prise : en verser directement dans le carburateur. On met le contact. Une explosion se fait entendre. Elle se réveille pour quelques secondes avant de se rendormir. Encore un essai, rien. La solution choisie : démonter et nettoyer le carburateur. À l’aide d’une brosse à dents et de coton-tige, cette tâche minutieuse m’est confiée. J’apprends de nouvelles notions « frotter sans trop frotter » et « serrer sans trop serrer ». Tout se fait au feeling. On est loin de la précision chirurgicale parfois nécessaire pour la réparation d’un véhicule récent. Pendant ce temps, Banh Canh vérifie les bougies, la courroie, l’alternateur… Ces tâches finalisées, il se met au volant. Tous deux nous ne faisons qu’un avec cette vénérable vieille dame. Nous lui transmettons toute notre énergie pour qu’elle rugisse.

Elle démarre ! Quelle joie ! Mais est-ce qu’elle roule ? Et surtout est-ce qu’elle freine ? Banh Canh passe la première, le moteur monte dans les tours. Elle s’ébranle, elle avance. Je vois Banh Canh s’éloigner très lentement dans cette automobile d’un autre temps. Il reste encore de nombreux réglages à faire, mais la première étape est franchie avec succès.

Face au contrôle technique vietnamien, comment réagira-t-elle ?

La phase suivante n’est pas des moindres. Il s’agit de l’obtention du certificat attestant de sa conformité aux normes et de son bon entretien. Sans ce sésame, il sera impossible de sillonner les routes. En France, l’examen est extrêmement encadré. Quand je scrute avec respect cette vieille dame, je ne vois pas comment cette voiture peut le passer avec brio. Selon moi, la fumée noire qui s’échappe parfois du pot, les rétroviseurs branlants, la cabine et la carrosserie plus que fatiguées, les pneus en état d’usure avancé…, ne lui permettront jamais d’être validée.

Mais oublions les 130 points de contrôle à la française. En 15 minutes et une poignée de main chaleureuse, la clé des champs est délivrée ! L’aventure nous tend les bras.

Voyager en Citroën « La Dalat » : une expérience hors du commun

Il s’agit bien d’une expédition lorsque l’on explore les chemins en Dalat. Banh Canh me prévient tout de suite : « Je sais quand on part. En revanche, te dire quand on arrive ? C’est à vivre ! Mais surtout, ne t’inquiète pas, j’ai la boite à outils avec moi ». Dès que je monte dans l’habitacle, je me sens projeter dans un autre monde. Peut-être est-ce dû au tableau de bord et ses gros boutons rouges et oranges qui me font penser au simulateur de voiture d’arcade. Potentiellement, le très grand volant fixé pas complètement à l’horizontale par une vis et le levier de vitesse d’une génération passée renforcent cet effet. De même, il n’y a évidemment pas d’airbag, de warning ou tout équipement de sécurité moderne. Bref, bienvenue dans les années 70 au Vietnam.

Volant d'une voiture Citroën La Dalat
Volant d'une voiture Citroën La Dalat

On roule au pas

Dès les premiers kilomètres, le sentiment d’être hors du temps se développe. Tout d’abord, la vitesse. Nous cheminons à 35 km/h de moyenne. « La Dalat » peut faire des pointes en descente à 50, mais elle souffle péniblement à l’approche d’une côte. Aussi, pour chaque montée, nous l’encourageons vivement : « Vas-y ma grande ! Tu es la meilleure ! Encore un effort, tu y es presque ! ». Il faut également prendre de l’élan notamment pour passer le haut et long pont de Cua Dai qui va nous ouvrir les sentiers de la province du Quang Nam.

À ce rythme, nous nous faisons doubler par tous types de véhicules. Mais nous avons le temps de profiter des paysages. Plus vite qu’un vélo et moins qu’un scooter, les rizières, les plantations d’hévéas, les collines et les vallées ont un tout autre charme. Plus on s’enfonce dans des petits chemins et plus la perception d’être transportée dans les années 50 des Français d’Indochine se concrétise. Cette image est renforcée par les locaux qui nous regardent avec attrait. Mais c’est en fait « La Dalat » qui est la source de toute cette curiosité. Dès que nous sommes à l’arrêt, les gens s’approchent, la détaillent et font des selfies devant comme s’il s’agissait d’une Porsche ou d’une Ferrari.

Voyager en Dalat nécessite aussi de prendre et d’avoir du temps. D’une part, elle a besoin de pauses régulières et d’autre part il faut lui prodiguer des soins fréquents. La chaleur du moteur remonte également dans les jambes du chauffeur, ce qui ne permet pas non plus de long trajet.

Ouïe, odorat, vue : « La Dalat » met vos sens en éveil

Il y a le bruit. Une chose est certaine quand « La Dalat » roule, tout le monde le sait. Pas uniquement, les occupants de la voiture, toutes les personnes ou les animaux avoisinants sont informés de son passage. Son ronronnement est loin de celui d’un petit chat tranquille. Il oscille entre la litanie d’une moissonneuse-batteuse et la berceuse d’un tracteur. Il faut bien l’avouer, une fois le moteur éteint, on profite du silence et du chant des oiseaux d’une manière extraordinaire.

Ensuite, il y a l’odeur. Le manque d’étanchéité fait que tous les parfums d’huiles et de monoxyde de carbone arrivent dans la cabine.

Enfin, la vue. Oubliez les grands parebrises parfois panoramiques des véhicules du XXIe siècle. En Dalat, vous regardez le monde à travers une lucarne rectangulaire ajustée au minimum nécessaire pour une conduite responsable. Quant aux vitres en plexiglas, elles sont devenues opaques avec le temps. Heureusement, le climat tropical du Vietnam permet de les ouvrir et de retrouver les couleurs vives et chatoyantes des villages et des lieux traversés.

Aussi, dire que nous tressautons, vibrons, chauffons, respirons à l’allure de « La Dalat » n’est pas un mythe, mais une réalité. Cela pourrait en rebuter plus d’un. Or voyager en Dalat n’est pas simplement effectuer un trajet. C’est une expérience.

Une virée en Dalat : un état d'esprit

À bord de « La Dalat », on redécouvre et on explore à un rythme tranquille. On saisit la chance d’admirer, de s’arrêter, de flâner. D’ailleurs, ce concept est celui de Jacques Duchemin lorsqu’il la présente pour la première fois au public à Noël en 1969 à Saigon. « Vivre à la campagne, humer le bon air et avoir le plaisir de se sentir partie intégrante de la communauté : voilà le rêve de chacun, largement réalisable grâce à “La Dalat” ». C’est tout le contraire de notre société moderne qui nous pousse à aller toujours plus vite, plus loin…

En Dalat, l’idée n’est donc pas de faire 1 000 km dans la journée. C’est peut-être d’en faire 100 ou 150, d’arriver à bon port sans trop d’encombres et d’être heureux du périple réalisé. Embarquer à bord de « La Dalat » donne la sensation de s’installer dans une machine à remonter le temps. C’est unique et magique !

Source musicale : Ma deuche - Eric Cordier, Auteur, compositeur et interprète périgourdin

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